POUR UNE BISE…
LES PREPARATIFS
-Salut les gars - leurs dis-je en essayant de reprendre mon souffle.
-P’tén t’es en retard
-C’est pas ma faute. Y a ma tante qu’est venue à la maison. Elle arrêtait pas de me poser des questions.
-Ouais…Bon… Alors voici le plan.
C’était Fred qui parlait, Fred le chef, Fred le rasé cause que ses parents lui coupaient toujours les cheveux à la tondeuse. Comme son père le militaire. Y avait aussi Norbert, Nono l’aristo qui parlait comme un livre, et Ptitluc et Martial, surnommé Lacour depuis que le prof nous avait appris qu’y avait une cour martiale vachement importante chez les uniformes. Et à force c’est devenu Lac tout court.
Moi c’était Rémy. Mais ils m’appelaient lejaune. Non, je suis pas chinois. C’est à cause du citronnier dans mon jardin. Tous les jours ma mère me fourre un citron dans la poche. « C’est un peu amer, mais plein de vitamines. Quand t’as faim croque dedans » Et ce p’tén d’arbre il arrête pas d’en faire des citrons, en hiver, en été, tout le temps. Quand les copains sortaient leur quatre heures moi j’sortais le citron. Maintenant c’est comme une habitude. Même si je le mange pas, je le tripote dans ma poche. Des fois j’fais un trou avec mon doigt et je le presse en suçant le jus. Lacour il aime bien aussi, alors j’en prends souvent deux. « C’est bien - me dit ma mère - Tu deviendras grand et fort. » Jaune surtout, comme dit Fred « Un jour tu vas devenir un Chintok, jaune avec les yeux tendus » Et voilà comment je suis devenu lejaune ou Jaune. Jaune c’était bien parce que si on le dit vite, ça fait presque John. A l’américaine.
Des fois je me regardais dans la glace pour vérifier. Ca allait. J’avais toujours la peau rose et les yeux ronds. C’étaient des bêtises tout ça. Mais quand même, j’aurais pas aimé devenir jaune. Là je venais de me taper un sprint pour les rejoindre sous le pont à la sortie du village. Je récupérais de mon effort et me concentrais sur la discussion. C’est que c’était vachement important aujourd’hui. On était accroupis au pied du pilier pour pas être vus de la route et on écoutait Fred.
Dans deux jours c’est la fête du village. Y aura le bal et les manèges et le feu d’artifice. Ce sera le jour J et l’heure H.
On sentait bien que son père était dans l’armée. Y balançait toujours des majuscules. Le moment M, la semaine S et finissait toujours pas « Reçu ? » et nous : « cinq sur cinq », même si on était que quatre ou trois ou deux, on devait toujours lui répondre cinq sur cinq ; un code quoi.
- Ptiluc tu feras le guetteur. T’as le sifflet ?
- Ouais, ouais – il le sort fièrement et commence à siffler.
- Mais t’es malade !– Et vlan sur le sifflet qui va valser dans l’herbe – Tu veux qu’on se fasse remarquer !
- Excuse – Lui répond Ptiluc en allant récupérer son instrument.
- Tu seras posté sur le côté de l’église comme ça tu pourras voir l’entrée principale et la porte de la sacristie. Nono, Lac et Jaune vous entrez avec moi. Nono tu feras l’éclaireur. Tu vas à la sacristie et tu entrouves la porte. Tu feras le signal à Ptitluc que tout va bien.
- Ok. Je lève mon bras avec le pouce en l’air.
- Ouais mais il va faire nuit j’le verrais pas son pouce moi.
- Bon bé…si je lève les deux bras…hein ?
- Ok fais ça - reprit Fred – Lève les deux bras. Les bras tu vas les voir ? T’es pas miro ?
- Ouais les bras ça va. Mais bien hauts hein ?
- J’ferais comme ça- Et il lève les deux bras comme quand on fait la Ola au stade.
- Toi, si tu vois quelqu’un entrer tu siffles. Nono, tu restes derrière la porte de la sacristie. Tu la laisseras un peu entrouverte et tu fais gaffe à bien écouter s’il siffle. Reçu ?
- Cinq sur cinq - Répondirent Ptitluc et Nono
- Et s’il fait pas le signal ?
- T’as la trouille ou quoi ? lui dit Lacour
- Non…Mais on sait jamais.
- Il le fera le signal et s’il le fait pas…..Tu bouges pas.
- Et pourquoi il le ferait pas le signal ? Je demandais.
- Parceque je risque de tomber sur Tatane – Reprit Nono.
Tatane c’était la bonne du curé. Une grosse à moustache. Elle lui faisait le ménage et la bouffe. Dés le printemps, elle passait ses journées sur une chaise à surveiller les cerisiers derrière l’église. Un vrai épouvantail. Quand elle nous voyait se radiner pour chiper les bigarreaux elle se remuait la bedaine en criant « l’premier qui s’approche y va goûter à mes tatanes » Faut dire qu’elle devait chausser au moins du cinquante. Un jour on l’a vue mettre un shoot au chien du boucher qui coursait son chat. J’aurai pas aimé être le clébard. Un vol qu’elle a fait la pauv’bête. Sûr qu’il est pas prêt de revenir. Un coup pareil, sûr ça doit te laisser handicapé du trou de balle.
Tatane c’est pas un problème, elle sera pas là.
T’es sûr – que je lui demande
Sûr. Elle va pas rater le bal. Tu vas la voir se pointer avec ses habits du dimanche et son chapeau parasol. Faudra que tu la surveilles un peu, hein Ptiluc ?
Ok.
Nous on va s’occuper de la statue.
Tu crois qu’elle est juste posée ? demanda Lacour
S’il faut elle est vissée – que je rajoutais
Faudrait prévoir des outils – reprit Nono.
Elle va pas être trop lourde ?
C’est bon les gars, vous inquiétez pas. J’suis sûr qu’elle est juste posée. Jaune c’est toi qui t’occupe de la couverture.
Ok. J’lai déjà mise de côté.
A trois y aura pas de problèmes. Lac t’es le plus léger tu monteras sur mes épaules et tu la prendras et tu la passeras à Jaune. Après on l’enroule dans la couverture et on sort par la sacristie.
Le visage de Lacour s’éclaira d’un grand sourire et il balança excité « Les filles, elles vont pas en croire leurs yeux ».
Sûr qu’on va être comme des héros - Reprit Ptiluc.
Même plus - Rajouta Nono - comme des personnages de la mythologie.
C’est quoi ça- J’lui demandais
C’est presque comme des Dieux.
Houaou ! Ptén des dieux ! C’est vachement fort ça !
Ouais- reprit Ptiluc- moi j’serai le dieu des cerisiers comme ça je pourrais en manger tout le temps.
Abruti, ça existe pas le dieu des cerisiers.
Et pourquoi ça existerait pas ? Hein Nono que ça existe ?
J’sais pas, mais le plus fort c’est Zeus.
Moi j’serais le dieu de la guerre -Annonça Fred d’un ton solennel.
Ca existe ? Me demanda à voix basse Ptiluc
C’est Nono qui répondit.
Oui il s’appelle Mars
Comme la barre chocolat ?
Il hocha la tête pour confirmer. Il y eut un moment de silence. Chacun se rêvait en Dieu entouré des filles en admiration qui écoutaient nos exploits et ne rêvant que du moment où on allait les choisir pour en faire des princesses. Moi c’était surtout d’Isabelle que je rêvais. C’était la fille du mécanicien. Mais rien à voir avec son moustachu de père qui me regardait de travers quand je la raccompagnais. Elle était jolie… très jolie. Je suis devenu un expert en voitures rien que pour pouvoir en discuter avec elle. C’que j’ai pu lire comme bouquins de bagnoles pour l’épater. Sûr que s’il y avait « histoire des voitures » comme matière à l’école j’serais le premier. Enfin après elle, parce qu’elle si connaissait drôlement. C’est à cause d’elles qu’on en était là. Elles, les filles. Personne n’en avait encore embrassé une sur la bouche, sauf Fred qui se vantait de l’avoir fait avec la fille de la boulangère. Avec la langue même qu’il l’aurait fait. Mais nous on y croit pas trop. Fred il a tendance à se vanter un peu.
Et là, les filles, elles nous avaient promis de nous embrasser. Et sur la bouche !
Tout ça c’est parti de Nono, y a deux dimanches, quand on les a croisées au stade.
« Nous on connaît un endroit où on peut parler à la vierge Marie » Qu’il leur avait dit pour frimer. Faut dire que le curé le matin à l’église il avait annoncé que seuls les meilleurs y peuvent voir dieu ou la vierge et lui parler. Il avait parlé d’une Bernadette et de Jeanne d’Arc. Et les filles la ramenaient parce que c’était que des femmes qui avaient vus la Vierge. Alors Nono pour pas rester comme un imbécile leur avait balancé cette phrase. Sûr elles ont bien rigolé et sur le coup on lui en voulait à Nono d’avoir dit un truc pareil. Pour passer pour des menteurs c’était de première. Mais le Nono y s’est pas démonté. « Même qu’on peut vous le prouver ».
« C’est ça ouais…et mon père c’est le pape » lui avait répondu Sylvie en riant de plus belle avec ses copines. Leurs gloussements se sont tus d’un coup quand Nono a rajouté « Si on vous amène à l’endroit où elle nous parle et qu’elle apparaît…Vous… » On savait pas ce qu’il faisait comme délire mais on s’est scotchés sur place, les yeux ronds comme des billes, suspendus aux lèvres de l’aristo. Sur le moment on s’est mis à y croire. Peut-être qu’il avait découvert un truc. Peut-être qu’il pouvait le faire. Et les filles étaient là, à attendre ce qu’il allait leur demander en échange. Est ce qu’il allait leur demander ? Il allait oser ? On avait déjà oublié ce qu’il avait dit avant, tout ce qui importait c’était ce qu’il allait dire. Alors sur un ton détaché comme faisait son père, en vrai mec sûr de lui, il annonça tranquillement ce qu’on attendait « Vous nous embrassez sur la bouche ».
Passée la première réaction du « Ca va pas non ! ». Nono avait relancé « C’est vous qui voyez les filles ». Alors elles se sont mises à l’écart, regroupées en se tenant par les épaules, les têtes se touchant, elles ont délibéré.
Y avait Sylvie la rouquine, la plus audacieuse, la porte parole du groupe. Je crois que Fred avait un faible pour elle. Et Catherine, la timide qui parlait jamais et Brigitte la fille du facteur qui plaisait beaucoup à Nono parce que elle aimait bien l’histoire et que Nono aussi, mais surtout qui était jolie, pas autant qu’Isabelle mais Brigitte venait en deuxième dans mon échelle de la beauté. Et puis il y avait Isabelle. Isa.
« D’accord » Elles ont dit. « De toutes façon c’est pas possible alors… » Et elles se sont marrées à nouveau.
« Mais si ça arrive…Vous promettez ? » Et il a tendu la main pour qu’elle tope.
Un peu moins sûre d’elle, Sylvie s’est avancée. Elle se pinçait les lèvres. Sûr que ça peut pas arriver, mais pourquoi il avait l’air si sûr de lui.
« Ok, mais la vraie vierge, pas de blagues »
« Pas de blagues » avait répondu Nono très sérieusement. Alors elle a topé, elles se sont éloignées en riant pour se rassurer.
« Quand les poules auront des dents ! » avaient-elles criées de loin.
« C’est trop bon » avait dit Lacour comme si c’était un coup sûr. Pour être excités, ça, on l’était à fond, mais Nono nous a démoli les rêves avec une toute petite phrase qui tue.
« Bén… Maintenant faut trouver comment ». J’étais dégoûté. Je me voyais déjà entrain de tenir Isabelle par la taille, tout contre moi. Et d’un coup, plus rien.
« T’es trop con Nono » Lui avait balancé Fred. « On va passer pour des trouducs maintenant ». « Ouais c’est n’importe quoi avait rajouté » Ptiluc. « Parler à la vierge, mais qu’est ce qui t’as pris de dire une connerie pareille ? » Fred lui en voulait méchant. « Hein ? J’croyais que t’avais un plan ! Mais non ! L’aristo il est bon qu’à parler et à nous faire passer pour des abrutis ! ».
Surtout que dés le lendemain ça n’avait pas manqué.
« Alors les garçons, on lui parle ou on lui téléphone ? » Et les filles se moquaient grave de nous.
Alors Nono il a dû pas mal cogiter les jours qui ont suivis parce que le jeudi y s’est pointé l’air sérieux à la récréation. Il a d’abord parlé à Fred, et puis on s’est rassemblés, à l’écart. Fred nous a regardés en fronçant les sourcils, l’air sévère, tellement qu’on croyait qu’il allait nous annoncer une catastrophe, comme quelqu’un qui était mort, ou qu’il était puni et qu’il pourrait plus sortir ou qu’il allait déménager.
Il nous a regardé à tour de rôle, en silence, et il a dit « On va faire la mission de la mort ».
Mon coeur s’est accéléré. On s’est regardés. Fred était trop sérieux, c’était pas une blague. « On va piquer des œufs au père Mathieu ? » Demanda Ptitluc. « Non, pire » Avait répondu Fred. Pire ? Houlà ! Pire que d’aller piquer les œufs. J’ai mon estomac qui s’est un peu serré. La dernière fois qu’on l’a fait, j’étais mort de trouille. Fallait occuper le chien, rentrer dans le poulailler, soulever le cul des poules, éviter le coq et, tout ça, sans réveiller l’père Mathieu qui roupillait dans la chaise longue sous le auvent. C’est qu’il était un peu fada le père Mathieu. Il flinguait les corbeaux à la chevrotine. Sûr qu’on se serait pris du plomb s’il nous avait entendu. « On va kindapper quelqu’un ? » avait lâché Lacour sérieusement. Devant notre silence surpris il rajouta « J’l’ai vu dans un film hier soir. Par exemple, on kindappe le rouquin et puis on demande de l’argent à ses parents pour leur rendre ». « On dit kidnapper » Reprit Nono. Avant d’ajouter en rigolant « Et puis ses parents y paieront jamais…Il est trop couillon, voudront pas le reprendre ». On s’est tous marré et le stress de la mission de la mort est parti. Mais Fred l’a fait revenir tout de suite. « Nono a une idée pour la Vierge ». La sonnerie a retenti, fin de récré. On a pas bougé. C’était comme si ça nous concernait pas. Absorbés jusqu’à la vessie par la suite qu’on attendait, impatients et excités. « Vas-y Nono, explique » avait continué Fred. Nono a prit son temps. Il s’est un peu penché en avant comme quand on dit un secret. On a fait pareil. Mon cœur a repris la cadence d’un sprinter. Il avait les yeux qui brillaient Nono et un petit sourire « Voilà, on va prendre la statue dans l’église et… »
« Hé vous ! Monsieur Chevan et ses acolytes ! Il vous faut une invitation ?! » « Fait chier ce prof » a murmuré Fred. « C’est de la retenue que vous voulez ? » Il avait rajouté avec son air d’adulte, voyant qu’on se remuait pas. Fred s’est redressé « On arrive Monsieur, on arrive » et a commencé à marcher vers la classe. On l’a suivi. « Quelle statue ? » avait demandé à voix basse Lacour à Nono « La grande ? ». « Non l’autre » a eu le temps de répondre Nono avant que le prof en rajoute une couche quand on est passés devant lui : « On se tait maintenant ! ».
J’ai rien écouté au reste du cours de l’après-midi. Je gambergeais sur la vierge. Alors j’essayai d’avoir des renseignements. D’abord par Lacour assis deux rangs devant moi. Je lui ai envoyé un mot en boulette de papier qui lui a effleuré la joue. Il l’a dépliée discrètement sans quitter le prof des yeux. « Laquelle ? » J’avais écrit. Il s’est retourné lentement et a écarté les mains en faisant la moue. J’ai compris : « ch ‘ai pas ». Nono était assis trop loin, mais y avait Fred dans la rangée à côté, mais loin derrière. J’ai fais semblant de chercher quelque chose dans mon cartable posé à mes pieds et j’en ai profité pour me retourner vers lui. La tête baissé, j’ai attendu qu’il me voit et, sans faire de sons, j’ai articulé au maximum, comme quand on fait des grimaces : Que-lle stat-tue. Fred a écarté ses mains en hauteur, du ventre au menton, comme s’il tenait un objet de cette taille. La voix du prof est arrivée quand j’étais encore plié en deux.
« Vous avez un problème, Monsieur Aqualino ? »
Il était à ma hauteur dans la rangée à côté. J’ai été tellement surpris que je me suis cogné la tête dans la table en remontant d’un coup. Ca a fait rire toute la classe mais pas le prof. « Alors puisque Monsieur Aqualino aime bien faire le pitre… » « Non Monsieur.. » J’ai dit doucement. « …Qu’il n’a pas besoin d’écouter le cours… il va se lever et nous expliquer le climat continental ». C’était pas bon ça. J’en savais rien de son climat. Je me suis levé le plus lentement possible pour gagner du temps. « Alors…- J’ai commencé - le climat… continental… » Je cherchais une réponse dans les yeux des copains. Devant moi Lacour et Ptitluc c’était pas la peine, vu leur grimace, il en savaient pas plus que moi. Restait Nono. Il avait la belle place, dans le dos du prof. Il a commencé à me faire des gestes. Il se blottissait avec ses mains en tremblant « Il fait froid… » J’ai dit. Y en a qui ont commencé à sourire. « Heu… le climat continental est froid…». « Ca sent pas la bonne note ça, Monsieur Aqualino. Je viens de le dire. Qu’est ce qui caractérise le plus le climat continental ? » Nono continuait à essayer de m’aider. Maintenant il se mettait les mains sur la tête puis il en levait et baissait une. Je comprenais rien. « Heu …Ca monte et ça descend… ». Un grand rire a agité la classe. « C’est votre note qui va descendre… proche du zéro Monsieur Aqualino… ». Ho non ! Mon père allait encore me priver de sortie ce week-end. Non ! Pas en ce moment ! Fallait pas ! Pas avec la mission ! Nono !… Déclic ! Je viens de comprendre le geste de Nono. Un parapluie ! Il ouvre un parapluie ! « Il pleut » J’ai presque crié. « C’est laborieux tout ça » a grommelé le prof en se dirigeant vers son bureau. Il allait m’aligner. « Attendez Monsieur » Je lui lancé en plein désespoir. Espérant comme dans les films que le héros allait être sauvé à la fin par l’arrivée de quelqu’un qu’on attendait pas. Nono continuait. Il s’adossait à son siège, les bras en croix, la tête en arrière et en regardant vers le haut avec un grand sourire. Le soleil ! Il bronze ! « Il y a aussi du soleil Monsieur ! » Sans me regarder le prof a rajouté : « Et quand il fait froid et chaud on dit… » Il s’était assis derrière le bureau, le stylo en l’air, prêt à frapper, prêt à assassiner mon week-end. Maintenant Nono me pointait le tableau avec le doigt. Y avait la date, une planète dessinée, des noms : les climats, équateur, amplitude,
« Dommage Monsieur Aqualino ». Amplitude ! Ca y est, ça me revient ! Y a les moteurs de voiture qui sont faits pour supporter des grandes différences de température, de grandes amplitudes. « Le climat continental est caractérisé par une grande amplitude de température ». Je lui ai balancé la phrase d’un trait, comme si je l’avais toujours sue. Alors il a levé la tête, lentement, m’a regardé avec un petit sourire triste « J’ai déjà mis le zéro ». « Ho non Monsieur ! S’il vous plaît… ». Fred est venu à mon secours « Il a donné la bonne réponse M’sieur ». Nono aussi « Oui Monsieur, il l’a dit. Ce serait pas très juste un zéro. C’est pas comme s’il savait pas ». Alors le prof il a pris sa respiration, le stylo en l’air. On aurait dit un juge avant la sentence. « Monsieur Demanoir et Monsieur Chevan…Manque plus que Messieurs Gratta et Poulic et on a la fine équipe… » Il regardait en les pointant du menton Ptiluc et Lacour. « Bén …c’est vrai Monsieur…Il a répondu… » a balbutié Lacour. Le prof a hoché la tête. « Asseyez vous Monsieur Aqualino…Les remarques de vos avocaillons sont à moitié recevables… » Sûr que ça devait lui plaire de décider tout seul de ce qui était bien ou pas. S’il faut, il aurait vraiment voulu être juge. « Alors je vais être magnanime…Vous savez ce que ça veut dire, magnanime, Monsieur Aqualino ? »
« Oui Monsieur » J’ai répondu en vitesse sans rien rajouter. Des fois qu’il me croirait sur parole. Mais non. « Et alors ? » « Heu…Ca veut dire… gentil ? » Je savais pas, mais dans sa façon de parler, j’avais eu l’impression qu’il allait arranger le coup. « Mmm…oui…c’est un peu ça…Je vais être un peu…gentil….indulgent. Je vais… rajouter un zéro en dessous. Vous avez huit. Ca va que vous avez rendu un bon devoir la dernière fois. Mais attention ! On reste concentré » « Oui Monsieur » J’ai répondu soulagé.
Et puis à la sortie Nono nous a tout expliqué. On devait piquer la petite statue de la vierge qui était dans une niche dans l’église. Après on irait la mettre dans la grotte, bien au fond. On irait avec les filles, et là, avec des effets spéciaux qu’il a dit Nono, on éclaire la statue et quelqu’un ferait la petite voix de la vierge. En principe ça devrait être Ptiluc, mais ça, c’était pas encore sûr cause que Ptitluc devait rester un moment seul là-bas le temps que nous on amène les filles. Et il avait pas du tout envie de se retrouver seul dans le noir, au fond de la grotte. Mais bon, il avait qu’à pas avoir une voix de fille aussi. Les effets spéciaux ce serait avec deux lampes de poches. C’est Ptiluc qui devait tout faire.
On en était là, sous le pont, à écouter Fred régler les détails de la mission de la mort.
« Et moi je vais pas embrasser de filles alors ? » Qu’il a dit Ptitluc inquiet. Fred l’a rassuré à moitié. « Mais oui. Après quand c’est fini, et que les filles auront vu, on les amène dehors, tu sors, tu fais le tour et tu arrives en disant que t’es en retard à cause de tes parents ou aut’chose, c’que tu veux… » « Oui mais quand même…J’ai pas trop envie…Y a pas quelqu’un qui peut rester avec moi pour faire les effets spéciaux ? »
« Ca va, tu vas bien t’en tirer. Me dis pas que t’as peur ? » « Non, non, j’ai pas peur… C’est que ça serait mieux à deux ». « De toutes façons on essaiera un coup avant – Continua Fred – Le jour J, c’est samedi, l’heure H, onze heures, quand commence le feu d’artifice. On ira tout de suite à la grotte après pour essayer. Et on y retourne dimanche avec les filles ». « Et si le curé s’en aperçoit dimanche, on va être mal… ». « Mais non, personne ne le verra. La statue elle est dans un coin au fond, même pas éclairée » a répondu Nono à Lac. « En plus, ça m’étonnerait qu’il s’en aperçoive - j’ai rajouté- Il est tout bigleux » « Lui non, mais Tatane, en faisant le ménage… » Il avait pas tort Lac. Tatane était tout le temps en train de tout astiquer. « Le dimanche elle travaille pas » reprit Fred avec assurance. « Et lundi ? » dit Ptitluc avec une voix qu’on trouvait tous très aigue maintenant que Nono avait dit qu’il avait une voix de fille. Fred répondit sèchement, comme un ordre : « Il faudra la remettre en place avant le lundi matin…avant d’aller en classe ». Waou ! Alors là c’était vraiment la mort ! A 7 h heures Tatane et le curé sont déjà debout. Faudra y aller avant. Et comment je vais expliquer à ma mère que je dois partir à six heures et demi pour aller à l’école ? Et comment on va pas se faire voir en entrant à l’église, de bon matin ? Et comment on va traverser la place avec la statue ? « T’as un plan Fred pour la remettre ? » Sur le coup j’ai eu l’impression d’avoir la même voix que Ptitluc. C’est parce que ma bouche était devenue un peu sèche. Je lui reposais la question en faisant une voix grave, des fois qu’on me collerait à remplacer Ptitluc. « T’as un plan ? ». Personne n’a fait attention à ma voix, trop concentrés sur Fred. Une voiture est passée sur le vieux pont en pierre. En général y avait pas beaucoup de circulation. La route menait à quelques fermes éloignées du village. A part les riverains et les touristes qui se perdaient, personne ne l’empruntait. L’axe principal était de l’autre côté. On était début juin. Les jours étaient devenus vachement longs. Du coup on pouvait rester dehors jusqu’à sept heures et demi. Le clocher s’est mit à sonner. Chacun compta les coups dans sa tête. Il s’arrêta à sept. Encore une demi-heure. Fred finit par nous dire en baissant un peu la tête : « Non…Pas encore….Mais au pire on dira qu’on l’a trouvée ».
Y a eu un long moment de silence
Quand même, voler dans une église. C’est pas que je croyais en Dieu, enfin… Je savais pas trop. Ca me foutait quand même un peu les jetons. Et si c’était très grave et qu’après il nous arrivait un malheur... Je suis sûr que les autres avaient peur aussi. Enfin je crois. Ptiluc c’est sûr, Lac aussi. Nono et Fred je me demandais… C’est Lac qui osa poser la question « Et si on se fait choper dans l’église ? » Fred en bon chef nous rassura « On s’fera pas choper ! Y aura personne. Le curé et Tatane seront au feu d’artifice. Ca va nous prendre cinq minutes. On rentre, on sort… Facile. Et puis… Pense aux filles après… »
Ouais, il avait raison. Les filles…Embrasser Isa…Oui…Je me suis à rêver, les yeux fixés sur la rivière. Je me suis allongé en appui sur mes coudes. J’ai fermé les yeux. Je me suis dit que j’étais prêt à faire ça pour elle. Et là je me suis senti vraiment bien. J’étais comme un chevalier…Un dieu avait dit Nono…Je reviendrai en vainqueur après la bataille et y aura Isa qui m’attend, fière de moi.
Le samedi matin on est parti faire les repérages. En face de l’église y avait la grande place où le chapiteau pour le bal était en train d’être monté. Ca grouillait de monde partout. Sur les bancs y avait les mamies qui détaillaient les hommes en train de suer entre les barres, la toile, les cordes, les barrières et tout le reste. Quand elles en montraient un avec leur canne c’était parti. « C’est le petit Untel, le fils de l’autre, qui s’est marié avec… » Et là, tout l’arbre généalogique y passait. Un peu plus loin sur le parking, les petits se collaient déjà comme des mouches sur le miel aux quelques manèges déjà montés. La voiture-musique est passée devant nous « Ce soir grand bal sur la place de St Pons-Les-Mûres. A 23 heures grand feu d’artifice offert par la mairie… » Il répétait ça depuis le matin. Comment il en avez pas marre de répéter tout le temps la même chose.
On s’est assis sur un muret presque en face de l’église et on l’a regardée. C’est la première fois qu’elle me semblait aussi grande. C’est idiot, mais maintenant elle me faisait presque peur. Les deux vitraux ronds sur la façade, j’avais l’impression que c’était des yeux qui me regardaient. Et la croix en fer, en haut du clocher qui n’en finissait pas, elle me semblait pas très amicale. J’me sentais pas très bien. Je leur ai dit. « On devrait pas voler dans une église ». « On va pas voler – m’a répondu Fred – On fait que l’emprunter. C’est pas pareil ». Ca m’a pas vraiment rassuré.
L’église était vieille, pas large mais très longue comme s’ils avaient manqués de place sur les côtés quand elle a été construite, alors que le resto des Marlet à droite, et la boulangerie de la mère Tartelle, à gauche, sont assez loin. Justement la boulangerie, c’est vers elle qu’on s’est dirigés. On s’est accroupis à l’angle et Lac a sorti des billes comme pour faire qu’on jouait et Fred a commencé les explications « Tu vois, Ptiluc, tu te tiendras exactement où nous sommes avec ton sifflet. Tu vois, d’ici tu peux surveiller les deux entrées ». Ptitluc a hoché la tête sans répondre, concentré et grave. Isa et Brigitte sont passées à vélo. Elles nous ont fait un petit coucou. Mon cœur s’est accéléré. Sur le coup je me suis demandé si j’oserai l’embrasser.
« Nono - a dit Ptiluc – Tu veux pas aller devant la porte et lever les bras pour voir comment ça fait ? ». Il a hésité, a regardé autour comme s’il aller chaparder quelque chose et a cherché les yeux de Fred pour voir c’qu’il en pensait. Fred n’a pas réagi alors Nono s’est levé et a été doucement vers la porte de la sacristie. Du coup on s’est tous sentis à fond dans la mission. Ca commençait maintenant ! On s’est tus et on l’a regardé comme s’il allait faire quelque chose d’extraordinaire, de vachement difficile. Il avançait lentement, les mains dans les poches. Il a ralentit, s’est presque arrêté. Il nous a jeté un coup d’œil pour se rassurer. Il est arrivé à côté de la porte, a regardé à droite et à gauche, nous a fixé et a levé les bras en vitesse. Pas de bol ! Juste la porte s’est ouverte et le monstre est sorti. Tatane ! Nono a sursauté de peur. Nous aussi. On avait encore rien fait et on allait déjà se faire attraper. « Qu’est ce tu fais là Norbert ?» « Rien…rien… » « T’approches pas des cerisiers où tu vas goûter à mes Tatanes ! Attention ! » « Non, non, Madame Polante, non, je vais avec mes amis » il lui a dit en s’éloignant en vitesse. Quand il est arrivé il était tout blanc, pas bien. « Ca va ? » lui a demandé Fred. Il a dit un petit oui mais le cœur n’y était pas. « Elle m’a fait trop peur ». « A nous aussi – a dit Ptiluc – sûr que tu vas faire des cauchemars c’te nuit, tu l’a vue de trop prés ». « Ouais j’ai bien cru qu’elle allait me shooter ». On l’a regardée s’éloigner vers la place et Fred a rompu le silence. « Bon….On sortira par la sacristie et on passera par derrière. On prendra le chemin des lézards. Ptitluc, dés que tu nous vois sortir tu nous rejoins en vitesse. Je prendrais une lampe » « Moi aussi j’en ai une » a dit Lac. « Moi je prends la couverture » « Moi le sifflet » « Et la statue on va la laisser toute la nuit là-bas ? » Bonne question de Nono. « On va pas revenir avec ? » j’ai dit. « Ch’ai pas – a dit Fred après un moment – Faut voir. Sûr qu’il faudra retraverser le village et la planquer » « Et puis la ramener » que je rajoute. Ouais, c’était pas une bonne idée. « On va la laisser dans la grotte, façon, personne va nous la piquer ».
D’habitude le samedi, on faisait plein de trucs : on jouait au foot, on allait avec les filles, on chassait les lézards et plein d’autres choses encore. Mais aujourd’hui rien. On était sérieux. Le poids de la mission nous plombait les chaussures. On cogitait ferme. Il s’en est passé du temps silencieux avant que Nono demande « A quelle heure on se retrouve ce soir ? ». « Moi j’peux être là à 8 heures » a dit Fred . On s’est entendus comme ça. A 8 heures sur le muret.
LA MISSION
A huit heures moins quart, j’ai mis la couverture dans mon sac à dos et je l’ai balancé par la fenêtre, derrière la maison, pour que mes parents ne me voient pas sortir avec. J’avais pas envie qu’ils me posent des questions. J’ai été voir ma mère et me suis forcé à lui faire un grand sourire avec un visage d’ange.
« Maman, ce soir c’est la fête je peux rentrer plus tard ? » « Après le feu d’artifice ». « Ouais, le temps de rentrer, tout ça… » « Tu vas avec Fred et les autres ? » « Oui, oui ». « Bon, mais traîne pas trop ». « Bon j’y vais alors. Ciao Papa » J’ai fait un bisou a ma mère et suis sorti. J’avais presque rien mangé. Mon estomac était toujours serré. J’ai récupéré le sac et me suis mis en route. J’habitais à la sortie du village, j’en avais pour cinq minutes. Nono était déjà là. Fred et Lac arrivaient. On attendait Ptiluc. Il était en retard. En attendant, Nono nous a expliqué ses effets spéciaux « J’ai pris un bandeau à ma mère. Il coincera une lampe sur sa tête avec, comme ça il aura les deux mains pour tenir l’autre lampe et la statue ». « Tu crois qu’il va venir ? – a demandé Lac - Il avait pas trop envie de rester seul dans la grotte ». « Ouais, il va pas nous faire ça…- dit Fred - Quelqu’un veut le faire à sa place ».On s’est regardés. « Pour la voix y vaut mieux que ce soit lui » J’ai dit. « Ouais t’as raison ». Ptiluc a fini par arriver et on a été traînés vers les manèges. On avait notre argent de poche du week-end, alors on a lâché un peu la pression. Fred a fait un carton avec la carabine. Son père lui apprenait à tirer. Il a choisi une petite peluche d’ours. Il a rien dit mais ch’uis sûr qu’c’était pour Sylvie. Moi je préférais les manèges. On est montés sur les chaises attachées avec des chaînes. Elles montent et elles tournent. Oh pas très vite, mais suffisamment pour sentir le vent dans la figure. J’aimais bien la vitesse. Je fermais les yeux. Plus tard je serai pilote de course et Isa serait ma femme.
Après on a déambulé sans but, juste pour faire passer le temps. On parlait peu. On évitait les yeux de gens. Je me sentais déjà coupable. J’avais l’impression que tout le monde savait ce qu’on allait faire. Et ce temps qui ne passait pas. C’était dix fois pire qu’avant un exam. Et puis les musiciens ont fini par balancer leurs notes. Tout le village est rentré sous le chapiteau comme des fourmis qui vont se mettre à l’abri. On les a suivis. Nos parents auraient trouvé louche de pas nous voir. Neuf heures. Ptén encore deux heures.
Un coucou par ci, un bonjour par là, un sourire crispé, le pied qui battait la cadence, j’avais même pas vu partir Fred. Il est revenu en tenant un truc sous sa veste et nous a fait signe de la tête de le suivre. On l’a suivi dans l’ombre. On s’est engouffrés dans une ruelle et là, il nous a sorti la bouteille de vin blanc. « Avec ça, ça ira mieux ». Elle était déjà ouverte. On se l’est passée, une fois, deux fois. Ca me brûlait le ventre, mais on en connaissait les effets. Les mariages c’est une vraie école pour les pochtrons débutants. Les dix coups de l’église ont retentis. Plus qu’une heure. On a tous été pissés dans le petit prés, à côté du parking. Le vin ou la trouille, ch’ai pas. Fred s’est planté quand il nous a raconté une histoire de son père pendant la guerre en Algérie. Une mission de nuit. Ch’ai pas si c’était pour nous mettre en confiance, mais moi, ça m’a mis les jetons encore plus. Il donnait les détails. Les brindilles qui craquent sous la semelle, l’odeur que le vent transporte. Il mimait son père qui avançait avec une mitraillette, prêt à zigouiller les bronzés, qu’il disait. L’avantage, c’est que ça faisait passer le temps. « Il en a tué ton père ? » a demandé Ptiluc. « Sûr, qu’il la fait. C’était pas un trouillard ! » Alors je me suis demandé si c’était courageux de tuer des gens. Si les héros ne sont pas que des tueurs. J’voulais pas être du côté des méchants. J’voulais plus le faire le truc de la statue. J’voulais plus être un héros. Heureusement Nono a commencé à se marrer. Lui, il s’était pas fait embarqué par l’histoire. « J’ai vu les filles. J’leur ai fait un grand sourire. T’imagines leur tête quand elles vont voir la vierge ? » Ptén c’est vrai ça. « Et si elles tombent dans les pommes ? » « Bén tu la réveilleras comme dans les films, avec le bouche à bouche ». « Hé ch’ai pas faire ça moi ! » a dit Ptiluc en laissant tomber les mains sur ses genoux avec un dépit amplifié par le vin blanc. « Te bile pas, elles vont pas s’évanouir. Elles vont avoir la tremblote, peut-être même pleurer » Et Fred, tout fier, s’est redressé comme un césar « Et nous, on sera là pour les consoler ». La litanie de mon père m’a rattrapé « Tout se mérite fiston ». Ouais…On l’aura bien mérité ce moment.
On était toujours dans la ruelle quand le bruit de la foule a remplacé la musique. On les a vus passer au bout, tous dans le même sens. C’était l’heure !
On s’est regardés sans rien dire. Chacun cherchant la confiance dans les yeux des autres. Un cercle spontané s’est formé. On était comme une roue avec les bras pour rayons et on s’est serré les mains, fort. « C’est parti les gars ». On a commencé à marcher vers le bout de la ruelle, vers la place, lentement, pour laisser le temps à tout le monde de passer. Y avait quelques traînards. Fred nous a fait signe de suivre la foule, de loin, histoire de donner le change. Puis à l’endroit où ils ont bifurqué pour descendre vers le lac, Fred s’est arrêté pour faire semblant de rattacher ses lacets. On a laissé passer les derniers villageois. Un couple qui s’embrassait tellement qu’ils ont même pas dû nous voir, quelques vieux…Ca y est ! Plus personne derrière. La place était vide. On s’est dirigés vers l’église en faisant un détour, évitant les flaques de lumière des réverbères. J’essayais de contenir mon envie de courir en faisant des petits pas rapides. J’avais envie de pisser. On est passé devant le resto. L’entrée de l’église était à moins de dix mètres. Par chance, toute la lumière avait été installée entre les arbres de la place, autour du chapiteau, laissant la porte dans une pénombre complice. On distinguait encore des gens à l’intérieur du bal. Le vent nous apportait des bouts de mots incompréhensibles, les bruits des manèges, quelques gueulantes de soudards. On était encore dans l’ombre quand Fred a ralenti, s’est presque arrêté. « Ptiluc va à ton poste. Nous, on regarde plus personne, on accélère et on rentre. » Et comme ça on a fait. Nono, Lac, moi, Fred a refermé la porte derrière lui. On s’est retrouvés devant le bénitier, accrochés comme des grains de raisin. Quelques bougies brûlaient encore, au fond, derrière l’autel. Elles faisaient courir des ombres sur les jambes du Christ crucifié. Le silence étourdissant, l’odeur de la religion, le vin blanc, j’avais les jambes qui flageolaient. Mes mains étaient accrochées au pull de Lac devant moi. On se tenait voûtés par peur d’être vus. Y avait personne. Une loupiote rouge indiquait la porte de la sacristie. Fred a fait signe du doigt à Nono de partir à gauche, vers la loupiote. « Allez ! Vite ! » Il s’est élancé à droite. On l’a suivi. On a longé le mur en courant voûtés sur la pointe des pieds pour pas faire claquer nos talons. Fred s’est accroupi derrière le pilier presque en dessous la niche de la vierge. On s’est collés à lui. On a observé juste en face Nono ouvrir la porte et disparaître. Mon cœur battait tellement fort que j’ai demandé à Lac s’il l’entendait. Il a juste secoué la tête sans quitter des yeux la porte. Fred m’a susurré de préparer la couverture. J’ai eu un mal fou à ouvrir le sac à dos que je trimbalais pendant que Fred, appuyé au mur, faisait la courte échelle à Lac. J’avais l’impression d’avoir vingt doigts qui m’obéissaient pas. J’ai sorti la couverture en transpirant et j’étais toujours accroupi quand Fred me la arrachée des mains pour y envelopper le précieux butin. On est passés devant l’autel en courant, toujours pliés en deux. Lac a tenu la porte ouverte et on s’est engouffrés dans le noir. On était dans un petit couloir avec, à droite, la porte de la pièce du curé et en face Nono accroupi, guettant l’extérieur à travers la fente de la porte laissée entrouverte. Fred a parlé à voix basse derrière moi. « Nono ! R.A.S ? » Il a ouvert la porte du minimum qu’il fallait pour sortir et nous a fait signe de le suivre. On s’est faufilés et on a commencé à courir le long des cerisiers. Comme c’était bon de sentir l’air frais. On a ralenti pour attendre Ptiluc et on a foncé en direction de la grotte. « Vous l’avez ? Vous l’avez ? » Criait Ptiluc en essayant de recoller au groupe. Lac a expulsé toute la peur et la tension contenue par un cri « Ouééééééé !!!! » et on s’est tous mis à crier en laissant les cerisiers loin derrière nous.
LA GROTTE
Essoufflés, transpirés malgré la fraîcheur nocturne, on a enfin atteint la grotte. On avait réussi ! « C’est trop fort ! C’est trop fort ! » Répétait Lac en faisant des bonds de cabri. « On est des bons les gars ! » Lança Fred le poing fermé. « Les meilleurs ! » Lui répliqua Nono avec un sourire qui lui faisait le tour de la tête.
La progression avait été rapide grâce aux lampes et aux nuages qui avaient enfin retiré leur voile pour laisser la pleine lune s’afficher. On connaissait bien l’endroit. On y venait les jours de pluie. Fred commença l’organisation. « Voilà, on la mettra là-bas, derrière le château. Venez ! » L’entrée devait mesurer deux mètres sur trois , puis les parois se resserraient et formaient un coude qui débouchait sur une salle tout en longueur d’au moins cinq mètres. La grotte était orientée au nord. Même en plein jour, après le coude, on n’y voyait pas grand chose. Là, l’obscurité était totale. On suivait le faisceau de la lampe de Fred, en file indienne, les mains devant nous par précaution. On avançait à petits pas comme des prisonniers enchaînés.
Au fond, il y avait comme un mur dentelé d’un mètre cinquante de haut avec un affaissement en son milieu. Ca ressemblait un peu à la façade d’un château avec ses deux tours. Derrière, l’espace avant la paroi était suffisamment grand pour qu’on puisse y tenir tous. Nono a mis le bandeau sur la tête de Ptiluc et y a coincé la deuxième lampe allumée. « Donne-lui la statue » a commandé Fred. « Faut pas qu’on te voit. Mets toi accroupi ». Et il s’est retrouvé ainsi dans un équilibre précaire, les mains bloquées sur la statue et le crâne éclairé par le faisceau de la lampe de Fred. « Ch’ui pas bien comme ça, j’vais tomber » et après quelques efforts pour se maintenir, son postérieur est allé se poser sur la roche. C’était pas gagné ! Et l’autre lampe il ferait comment pour la tenir ?
« Bon – Reprit Fred – Reste assis, on va déjà voir ce que ça fait de là-bas » On s’est plantés à l’entrée du coude et on a regardé le petit château balayé par la lampe de Fred, comme des experts, les bras croisés. « Reste assis et éteins la lampe ! Baisse la statue ! Voilà ! Quand on va arriver, ça sera comme ça. On verra rien du tout. A mon signal tu la monteras. » « Quel signal ? » lui a répondu une petite voix angoissée. « Ch’ai pas on verra. Et d’un coup t’allumes la lampe en visant le dos de la statue ! Vas-y ! » Il ne s’est rien passé. C’est resté noir. « Alors ? » « Ch’peux pas allumer sinon je lâche la statue ! » Fred a pointé sa lampe sur Ptiluc qui s’était redressé. « Ch ‘peux pas ! Y faut être deux ». On est restés à le regarder en faisant la moue, comme si c’était de sa faute. « Ch’peux pas tout seul. C’est vrai, j’vous jure ! Elle est trop grosse. » C’est pas sa petite voix plaintive qui nous a convaincu mais il fallait se rendre à l’évidence, la statue était trop large : Un autre devait s’y coller. Sûr que ça allait être pour Lac ou moi. Il commençait à se faire tard. Fallait trancher. Finalement ça été pour moi, à la courte paille. Ptén j’avais jamais de bol au jeu. On a fait le test. Pendant que Ptiluc tenait la statue moi je tenais les deux lampes. Les essais ont été concluants. La vierge était entourée d’un halo par la lampe dans son dos et la face était éclairée par intermittence par l’autre lampe baladeuse, mais ils ont trouvé qu’on la voyait même trop bien et que le mieux serait qu’il y ait un peu de fumée. Mais là il se faisait vraiment tard et on avait pas le temps de faire le test de la fumée. On a commencé à redescendre et Fred a continué les explications « Faudra pas qu’elles approchent de trop prés. Ptiluc tu la montes dés que tu m’entends dire. « Et maintenant il faut faire le silence ». Le signal c’est le mot silence. Reçu ? » « Cinq sur cinq ! ». « On a fait le plus dur les gars, demain… ». Personne n’a continué la phrase mais chacun avait son petit scénario en tête. La peur de se faire attraper, la remise en place de la statue, la réussite aléatoire des effets spéciaux, tous ces dangers n’existaient pas. Une seule pensée nous occupait : Les filles !
On a accéléré et on a débouché sur la place discrètement. La musique avait repris, y avait encore pas mal de monde. Minuit trente-cinq, j’ai cherché en vain mes parents sous le chapiteau. Mince ! Ils avaient dû rentrer. On s’est séparés et j’ai filé chez moi. Rencart demain matin dix heures pour avertir les filles.
J’ai passé une superbe nuit.
LES FILLES
Voilà c’était maintenant, enfin bientôt. Fred, Nono et Lac allaient passer chercher les filles et les amener à la grotte. Moi j’étais là dans le noir avec Ptiluc à me geler le cul par terre au fond de ce trou. Ca faisait vingt fois que je vérifiais si les lampes fonctionnaient bien. Je les baladais un peu partout sur les parois mais y avait rien à voir, alors j’ai éclairé la statue et on l’a regardée longuement. Elle était debout entre nous et Ptiluc la tenait toujours par la base sur les pierres instables. La vierge écartait les bras à mi-hauteur, les paumes vers le ciel, la tête un peu inclinée, une attitude de pardon résigné. Je la trouvais triste. Son visage blanc se confondait avec le voile qui lui couvrait les cheveux et une tunique bleu lui descendait jusqu’aux pieds à la peinture écaillée. Je voulais lui dire pardon madame tellement elle me faisait de la peine, et on a entendu des voix et les graviers crisser sous les pas.
Nono et Fred leur avait parlé pendant tout le trajet, histoire de les mettre dans l’ambiance. Sûr au début elles se moquaient mais…
La première fois qu’on l’a vu, on a eu vachement peur hein Fred ?
ça oui alors, on se demandait c’qui s’passait.
Woua c’est même pas vrai.
Si si j’t’assure. Ca fait peur. Faut pas rigoler avec ces choses là. Quand tu la vois y a plein de lumière qui arrive avec elle et des fois, même que le vent il se lève. T’as l’impression que toute la grotte s’illumine.
Sérieux ?
Il parlait comme ça depuis un quart d’heure et les voix des filles se délitaient petit à petit. Le petit frisson de peur-plaisir commençait à leur dresser les poils.
Bon elle apparaît pas toujours, mais si elle vient, je te jure que tu t’en souviendras toute ta vie. C’est trop…trop bizarre. T‘imagines ?
Non Nono elle peut pas imaginer. Un truc pareil ça s’imagine pas. Ca se raconte pas. On n’a pas encore inventé les mots pour le décrire. Mais faudra rien dire à personne hein ?
N…Non, on dira rien.
Voilà c’est là.
Ils étaient à quelques mètres de l’entrée.
Attends attends ! - Avait dit Sylvie en retenant Fred par le bras.
Ca y est, elles y croyaient. Elles avaient la trouille.
Vous en faîtes pas, on est là – Et il l’a tirée doucement par la main pour lui faire grimper les derniers mètres.
On s’est baissés le plus qu’on pouvait derrière le mur, presqu’on respirait plus pour pas faire de bruit. J’avais les mains moites. Ptén pourvu que les lampes me glissent pas ! Tout notre corps écoutait, immobile, tendu, attendant le signal comme les sonars des sous-marins.
J’entendais la voix de Fred mais je comprenais pas c’qu’il disait. Ca résonnait, les mots étaient emmêlés. Ptén il était trop loin, parlait trop bas ! Merde ! Fred plus fort ptén !
Fred de son côté en rajoutait :
Faut s’mettre à genoux… et maintenant… silence.
Ptén il parlait plus. L’avait dit ? L’avait pas dit ? J’pouvais même pas compter sur un signe de Ptiluc, j’le voyais pas ! Ptén de ptén ! Merde ! J’fais quoi ! En même temps que je tâtonnais pour trouver le bras de Ptiluc j’l’ai entendu. Je crois qu’il a crié. SILENCE ! Ma lampe était sous l’avant bras de Ptiluc, j’l’ai poussé vers le haut pour qu’il monte la statue et j’ai allumé la première lampe, dans le dos de la vierge. On a entendu un cri, un maman ! Le gravier qui glissait sous des pieds qui s’agitaient. Fred m’a dit plus tard que c’était vachement bien trouvé d’avoir fait trembler la lumière. Tu parles ! C’est que j’arrivais plus à contenir mes tremblements, comme un petit vieux. Mais ça j’leur ai jamais dit. J’ai allumé l’autre. D’autres cris aigus, plus lointains. Je savais que j’étais à contre-jour, dans le noir, j’ai fait gaffe à maintenir les lampes et j’ai osé un œil. Plus personne. On avait oublié de programmer la suite. On savait pas quand on devait sortir. Ptén on allait quand même pas rester ici alors que les filles nous attendaient là-dehors ! J’ai éteint les lampes.
Allez vient - Que j’ai chuchoté à Ptiluc. Il a couché la statue au sol, j’ai posé les lampes. On s’est redressés et on entendu la voix de Fred.
Non, non tu peux pas y aller c’est sacré ! - Il parlait fort pour nous alerter. Les voix se rapprochaient. Ptén on s’est rabaissés en vitesse.
Oui, je veux voir… - C’était Sylvie ! La ficanas* de Sylvie !
Y a rien à voir, même nous on y va jamais !
Laisse-moi passer ! - Elle essayait de se rapprocher.
Mais tu vois bien c’est tout noir. C’est fini, elle est partie. Ca dure jamais longtemps. Tu risques de te faire mal en plus, on y voit rien.
Je veux y aller. Tiens-moi le bras. Allez aide-moi.
Surtout ne pas bouger, ne pas bouger, ne plus respirer, plus rien. J’étais scotché sur le mur comme une tique sur un chien.
On va se casser la gueule Sylvie, ça sert à rien. Si tu veux on reviendras avec une lampe.
Attends peut-être elle va revenir. J’voudrais la voir de près.
Non elle revient jamais deux fois.
*curieuse Elle était juste de l’autre côté du mur. Je sentais son parfum de vanille. Faîtes qu’elle s‘en aille, faîtes qu’elle s’en aille ! J’n’avais plus peur, mais ça aurait été dommage de tout gâcher maintenant. Elle appelait la vierge... C’était gagné… Isa ! Tu vois bien. Elle est partie. Allez vient on sort. On reviendra ? J’te promets. Et on les a entendu s’éloigner. Cool ! J’ai vidé mes poumons dans une longue expiration. Bon, maintenant fallait sortir sans se faire voir. J’espère que les autres vont assurer. On a tâtonné jusqu’à l’angle du coude. A quatre pattes, j’ai passé la tête. L’entrée était vide. On entendait à peine leurs voix. Ils semblaient s’éloigner. On a avancé comme des militaires en mission, comme nous racontait Fred, en file indienne, presque accroupis. Vous voyez les filles, c’était pas des blagues. Ils avaient amenés les filles plus loin après la grotte, là où il y avait comme une mini-clairière, un petit bout de près caché par les chênes. Sylvie se rongeait les ongles, la tête baissée, debout en face de Fred et lui jetait des regards inquiets par-dessous ses sourcils. C’est pas possible ça ! J’en ai encore le cœur tout retourné ! Ca va aller Isabelle ? Oui, oui, mais c’est trop…- Elle se tenait la poitrine comme pour empêcher son cœur de sortir. Ca fait un choc hein ? Ha oui alors ! - Reprit Brigitte excitée – Mais comment…..C’est pas possible un truc pareil… On vient de voir la vierge ! Mais vous vous rendez compte ! Non c’est pas possible ! Même Catherine se lâchait Je…je…c’est ….incroyable…- Elle avait les yeux écarquillés, dans le vague, comme si elle venait de se prendre un flash de photo. On avait sous estimé l’effet. Elles étaient complètement retournées. - Mais vous l’avez jamais dit à personne ?! Mais vous vous rendez compte ! Si on le dit ! En plus on l’a vue ! Nous ! Nous ! Comme les saints qu’il a dit le curé ! On est comme des saints ! Brigitte piétinait, elle moulinait les bras pendant qu’elle débitait ses paroles à toute vitesse. On se regardait tout les trois. C’était pas prévu ça. Et maintenant quand est-ce qu’on aller pouvoir les embrasser hein ? Et ça continuait. On va jamais nous croire. Non mais Sylvie faut le dire à personne hein ? Tu avais promis. Oui oui je sais….mais quand même… Brigitte maintenant tournait en rond C’est pas possible ! C’est pas possible ! J’ai vu la vierge ! Ho Maman ! J’ai vu la vierge ! Isabelle rajoutait sa voix sur celle de Brigitte. J’ai eu peur quand j’l’ai vue. Ho là là là là. Mon Dieu….C’est dingue ! - Elle se prenait la tête dans les mains. - C’est pas possible ! C’est pas possible ! Elles ont sursauté quand les fourrés ont bougés. J’arrivais avec Ptiluc, un sourire jusqu’aux oreilles, l’air des innocents. Alors ? - J’ai demandé Mais où vous étiez passés ? Vous en avez mis du temps. Vous avez tout raté. Bén…J’suis passé chercher Ptiluc et…et… Et mon père a voulu qu’on l’aide à porter un truc. Ouais… c’est ça… Et vachement lourd en plus… Alors ? Et bén elle est venue – A dit Nono Ouais ouais – a rajouté Lac – Un peu qu’elle est venue. Si t’avais vu…Avec plein de lumières des éclairs et tout… Mince et on a raté ça. Et vous les filles vous l’avez bien vue ? Quels fichus menteurs qu’on était. Et ça nous plaisait. Et on en rajoutait. Sûr elles l’ont vu. Et vachement bien même ! – Merci Nono j’ai pensé. Ca voulait dire qu’on avait bien travaillé. Et Lac continuait – Elle est venue ! Toute blanche ! Elle a écarté les bras, j’l’ai même entendue parler ! – Non là il va trop loin. Nono lui faisait des grimaces pour qu’il se calme. Moi j’l’ai pas entendue Moi non plus <
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Non
Les filles forcément. Elles se sont rapprochées de lui Et qu’est-ce qu’elle a dit ? Fais gaffe à ce que tu vas dire Lac, bousille pas tout… Elle a dit…..Elle a dit….J’ai pas bien compris…Mais…Mais j’ai entendu des mots ça c’est sûr. Mon dieu en plus elle a parlé ! – Et hop ! Brigitte était repartie pour un tour. Pendant qu’elle remplissait l’air de ses « Mon Dieu on l’a vue ! Te rend compte ! On l’a vue ! », je me souciais du principal en questionnant Nono doucement. Vous les avez embrassées ? – Il m’a fait une grimace vachement triste en bougeant la tête. C’était mal embarqué. Les filles continuaient à se confirmer qu’elles n’avaient pas rêvées en continuant de se parler, de se prendre les bras, en s’enlaçant. Nous, on ne pouvait qu’attendre que ça se calme. Sauf qu’à part Lac qui se la jouait excité, on semblait plutôt amorphes, dépassés par les événements. La vierge était apparue et c’est à peine si on avait l’air de se sentir concernés. Plantés comme des piquets qu’on était. Fallait pas minimiser l’événement mais on aurait bien voulu qu’elles s’arrêtent de piailler pour leur rappeler le pari. Et c’est arrivé. Mais vous ça vous fait rien ?! Nono s’est essayé. Bén c'est-à-dire que… Nous on l’a déjà vue…- Bien joué Fred Oui c’est pas la première fois. Toi aussi ? Me demande Isa Heu…Ouais…Ouais…Moi aussi… Ho la mauvaise surprise. J’étais mal. J’essayais de pas devenir rouge, de rester calme. Mais trop calme ça allait pas non plus. On commençait à se rendre compte seulement maintenant de l’importance de l’événement : l’apparition de la vierge ! On aurait dû être au moins aussi excités qu’elles. S’il j’l’avais vue en vrai, jamais je serais resté aussi calme et les autres non plus. Isa a reprit Et tu l’as vue souvent ? Heu…oui…plusieurs fois… Ptén comme ça me plaisait plus de lui mentir. C’était ma meilleure amie et je lui racontais des bobards alors qu’on s’est toujours fait confiance, qu’on s’est dit plein de trucs sérieux, intimes. Et tu m’as jamais rien dit ? Ho non ! En plus maintenant elle se fâchait. Elle m’a jeté un regard que je lui connaissais pas. Le genre de truc qui te prend le cœur dans la main et qui te le serre, fort, fort, jusqu’à qu’il te mouille les yeux. Il pouvait pas le dire. On a fait un pacte – Merci Nono Ouais… On a juré d’en parler à personne. Et vous non plus vous ne devrez jamais en parler La voix grave et solennelle de Fred a calmé tout le monde. Après un silence il a repris. Et vous aussi vous allez prêter serment. On…On est obligées ? C’était Catherine, celle qui n’avait jamais d’avis, qui se laissait toujours diriger. Ca devait être la première fois qu’elle faisait un truc important Approchez-vous. Il a tendu son bras, la paume en bas, nos mains sont venues sur la sienne et, timidement, tout doucement, comme des animaux craintifs, elles ont déposées leurs douces mains. Et Fred a parlé. Répétez après moi : Je prête serment devant vous que jamais je ne raconterai ce qui s’est passé dans la grotte aujourd’hui. La communion des voix qui a suivi m’a remué les tripes. Y avait tout dans cet instant. L’inquiétude dans les voix, le courage dans l’attitude, la chaleur du contact, l’intimité du secret, le partage. Un moment magique… Les mains sont retombées et on s’est retrouvés tous proches, dans le calme. La magie continuait. Fred a pris doucement la main de Sylvie, a avancé le visage et murmuré en approchant ses lèvres « Le pari ». Leurs lèvres se sont rencontrées. Ptiluc s’est posté devant Isa, la fille la plus proche, les lèvres prêtes à la bise. Il aurait jamais dû fermer les yeux. De peur qu’elle l’embrasse, je l’ai prise par la taille et tournée vers moi avec une assurance qui m’a épaté. L’instinct de survie en quelque sorte. J’ai gardé les yeux ouverts pendant tout le temps du baiser. J’ai pas bougé ma langue. Pas osé. Elle non plus. On est juste restés collés un siècle…
FIN
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